7.3Phase 1 : aborder le problème (quand et comment aborder le problème ?)
Quelques questions à vous poser
Avant d'aborder le problème avec votre patient, posez-vous quelques questions préparatoires... la motivation de votre patient à arrêter commence toujours par un médecin généraliste motivé aussi !
- « Quelle(s) est/sont la/les benzodiazépine(s) que je prescris, à quelle dose, à quelle fréquence et depuis quand ? »
- « Quelle était l'indication initiale ? »
- « Quels sont les arguments ou les indications actuelles qui justifient ce traitement ? »
- « Quelle éducation à l'usage des médicaments a reçue le patient au moment de l'instauration de ce médicament ? Les avantages et inconvénients de ce médicament ont-ils été rediscutés ultérieurement ? »
- « Ai-je déjà fait une tentative de sevrage avec ce patient et, le cas échéant, pour quelles raisons a-t-elle échoué ? »
- « Quelles sont mes raisons, en ma qualité de médecin généraliste, pour ne pas aborder le problème (éducation à l'usage des médicaments) ? »
Osez aborder le problème
La prise chronique de BZD est un comportement qui, beaucoup plus que d'autres comportements malsains, dépend de la vigilance et de la motivation du médecin à aborder le problème. Les patients ont rarement conscience des inconvénients liés à cette habitude, qu'ils ne considèrent souvent pas comme délétère ou comme une addiction.
Le simple fait d'aborder le problème et d'informer votre patient (éducation à l'usage des médicaments) est déjà lié à un taux de réussite relativement élevé (et souvent sous-estimé) ! Dans ce cadre, votre confiance et votre conviction, en tant que médecin généraliste, du bien-fondé et de la faisabilité du sevrage des BZD pour votre patient sont toutefois importantes. Si vous en doutez vous-même ou si votre attitude est ambiguë, vous diminuez considérablement les chances de réussite. Votre initiative et votre vigilance font la différence.
Mieux vaut prévenir que… sevrer
Motiver votre patient à arrêter la prise chronique des BZD n'est pas évident et exige de vous, en qualité de médecin généraliste, du courage et de la motivation.
Éviter la prise chronique de BZD (par une prescription adéquate et rationnelle), vaut également la peine : pour de nombreuses raisons, il vaut mieux prévenir la prise chronique des BZD que de devoir l'arrêter.
Une prescription adéquate et rationnelle des BZD repose toujours sur 2 paramètres :
- Le choix adéquat des situations dans lesquelles il est sensé compléter le traitement par un traitement médicamenteux. Ce choix est important, parce que les BZD ne favorisent pas le « processus de guérison » de votre patient.
- La prescription rationnelle de psychotropes nécessite que vous informiez suffisamment le patient des avantages et des inconvénients de ce type de médicaments et que vous conveniez d'emblée de la durée de ce traitement médicamenteux.
BZD : une addiction particulière
Motiver les patients à adopter un comportement bénéfique pour leur santé représente toujours un défi. Contrairement à la motivation de votre patient à arrêter de fumer, à avoir une activité physique, à avoir une alimentation saine... un patient qui prend des BZD de manière chronique se présentera rarement à vous avec un problème que vous pourrez clairement lier à la prise des BZD.
Les exceptions à ce niveau peuvent être : les chutes et la fatigue. Quand votre patient (qui prend des BZD de manière chronique) vous consulte avec des problèmes de ce type, vous pouvez vous servir de ces problèmes pour évoquer avec lui sa consommation chronique de BZD. Tout comme, p. ex., des symptômes d'essoufflement vous permettent d'aborder le problème du tabagisme chronique.
La peur des chutes ou les incidents de chute constituent également une bonne manière d'aborder les avantages liés au sevrage des BZD. Par la somnolence et le relâchement musculaire qu'elles induisent, les BZD augmentent en effet le risque de chute.
Cela veut dire que mettre sur la table la question du sevrage des BZD et aborder le problème demande de votre part, en tant que médecin, du courage, de la motivation et du temps. L'initiative à ce niveau vient rarement des patients. Dans les problématiques liées aux addictions, il est rare que les « toxicomanes » (s'ils n'y sont pas encouragés par des proches) demandent d'eux-mêmes qu'on les aide à arrêter. Dans ce genre de problématique, l'initiative doit le plus souvent venir de l'extérieur.
Est-ce votre rôle ? Oui !
En votre qualité de médecin généraliste, vous êtes un thérapeute qui s'engage à débarrasser son patient des symptômes avec lesquels il se présente chez vous et généralement, ce sont les patients qui mettent leurs problèmes sur le tapis.
Quand, en votre qualité de médecin, vous abordez le problème de la prise chronique de BZD, il est donc normal que vous ayez le sentiment de rajouter un problème à votre patient. Cela peut, indûment, générer en vous le sentiment que le faire est contraire à votre mission de thérapeute.
Il y a pourtant de nombreuses raisons pour lesquelles, en votre qualité de thérapeute, vous rendez service à votre patient en abordant avec lui le sujet du sevrage des BZD.
Qui plus est, le fait que les patients n'abordent pas d'eux-mêmes le problème de l'arrêt des BZD ne veut pas dire pour autant qu'ils ne sont pas désireux de les arrêter.
BZD = tabagisme ?
Les patients n'ont souvent pas conscience des inconvénients liés à la prise chronique de BZD et la considèrent donc rarement d'eux-mêmes comme un problème. À ce niveau, la prise de BZD est très différente par exemple, du tabagisme.
De ce fait, aborder le sujet du « sevrage des BZD » et aborder celui de « l'arrêt du tabagisme » sont 2 choses très différentes.
De nombreuses campagnes font que, de manière générale, la population sait que fumer est mauvais pour la santé. Dans le cas des BZD, il en va tout autrement. Vous ne pouvez pas partir du principe que les patients ont conscience des effets négatifs des somnifères et des calmants : ici, en tant que médecin généraliste, vous pouvez déjà faire une grande différence.
Le fait qu'un patient n'aborde pas de lui-même la problématique du sevrage ne vous apprend rien, par définition, sur sa motivation. Il est fort probable, en effet, que le patient n'ait tout simplement pas conscience que la prise chronique des BZD est une mauvaise habitude (ou même une addiction) nocive pour sa santé.
Et si le patient a déjà essayé d’arrêter ?
Pensez aussi qu'une tentative passée d'arrêter les BZD qui a échoué ne fournit que peu d'indications sur la motivation ou les chances de réussite d'une nouvelle tentative de sevrage chez un patient. Et l'inverse est même parfois vrai : car dans ce cas, le patient a cette fois bien conscience de son « problème ». Votre accompagnement vers l'arrêt progressif peut faire une grande différence... Chez ces patients, vos interventions motivationnelles seront importantes.
Un outil utile : la lettre « Stop »
Grâce à des interventions comme la lettre STOP, vous pouvez faire d'une pierre deux coups et en même temps contacter et informer vos patients pour lesquels vous pensez que le sevrage des BZD serait indiqué. Cette intervention connaît un taux de succès énorme ! À quel taux de réussite pourriez-vous vous attendre d'une intervention du même type dans l'arrêt du tabagisme ?
Conseils de communication sur la manière d’aborder le problème
Mentionner à votre patient que vous vous rendez bien compte qu'il peut avoir l'impression que vous lui rajoutez un problème, peut créer l'espace nécessaire à la psychoéducation relative à l'usage des médicaments. Peu de patients se montrent négatifs face aux interventions suivantes :
- « Vous allez sans doute être surpris, j'en ai bien peur, mais j'aimerais vous parler des somnifères/calmants que vous prenez... Est-ce que vous aimeriez que je vous explique pourquoi j'aimerais vous en parler ? »
- « Si je veux le faire, c'est parce que je pense que vous n'avez pas vu le problème s'installer. »
- « J'aimerais reparler avec vous des somnifères/calmants. Cela va sans doute vous surprendre étant donné que vous les prenez depuis si longtemps déjà… mais j'insiste. Est-ce que vous me permettez de vous expliquer pourquoi je me permets de vous en parler maintenant ? »
Quand vous abordez ce problème, vous le faites dans le cadre de votre implication et de vos préoccupations en tant que médecin. Cela vaut la peine de l'expliquer à votre patient. Votre attitude en tant que médecin généraliste est toujours une attitude d'empathie (et non confrontante). Exemple : « En fait, je m'inquiète par rapport aux somnifères/calmants que vous prenez maintenant depuis déjà un certain temps. Je suppose que cela vous convient, sinon bien sûr, vous ne les prendriez plus… Puis-je vous expliquer en quoi cela me gêne que vous les preniez depuis aussi longtemps ? »
Mieux vaut explorer que réfuter les « arguments types » de vos patients
L'exploration empathique de la résistance ou de la vision de votre patient ne signifie pas que vous êtes d'accord avec ses contre-arguments. Il est en effet beaucoup plus sensé d'explorer ces « contre-arguments » que de les réfuter ou de conclure que chez ce patient l'arrêt n'est pas une option : explorer, c'est « désinfecter ».
L'exploration du vécu du patient doit se faire de manière acceptable et empathique, surtout en ce qui concerne la résistance à l'arrêt. En procédant de la sorte, vous pouvez explorer, ensemble avec votre patient, ce que représente pour lui la prise chronique de BZD et identifier les barrières au sevrage.
Vous pouvez aussi anticiper les arguments types du patient à l'aide du document : caractéristiques de la prise chronique de BZD. Ce document replace toute une série d'arguments types dans le contexte de la prise de BZD.
Exemples d’arguments types… et de réponses possibles
Argument type 1 : « Vous savez, ça me convient très bien comme ça docteur… ça ne peut pas être mauvais quand même. »
Réponses possibles : « Vous avez le sentiment que cela vous convient bien/que cela ne peut pas vous faire de mal… Je suis bien sûr content(e) d'entendre que cela ne semble pas vous poser de problèmes ou très peu. Je suppose que vous devez être étonné que je vous dise que je m'inquiète par rapport à ce médicament que vous prenez depuis maintenant si longtemps... ou pas ? »
« Vous avez le sentiment que cela vous convient/que cela ne peut pas vous faire de mal… Vous n'avez donc aucun des effets indésirables que j'ai cités ? Dites-moi ? »
Argument type 2 : « Chez moi, il fait encore de l'effet, car si je ne le prends pas, je ne peux pas dormir ! »
Réponses possibles : « Oui, bien sûr, je vous crois quand vous dites que sans votre petit comprimé, vous avez des difficultés à vous endormir. Et que vous concluez de ce fait que ces pilules vous aident à vous endormir... je comprends, c'est logique…
Mais dans les études, on constate souvent que quand on arrête brutalement de prendre un médicament, on voit apparaître ce qu'on appelle des symptômes de sevrage qui sont justement, p. ex. de gros problèmes de sommeil ou des angoisses. C'est pourquoi nous ne conseillons jamais d'arrêter brutalement de prendre un médicament, mais plutôt de l'arrêter progressivement... Cela vous effraie quand je vous parle des symptômes de sevrage ? »
« Vous avez le sentiment que mes préoccupations concernant les médicaments ne vous concernent pas... alors pouvez-vous m'aider à comprendre pourquoi je ne devrais pas m'en inquiéter dans votre cas ? » (question à poser sur un ton curieux et empathique)
Argument type 3 : « Je les prends depuis déjà tellement longtemps… »
Réponse possible : « Oui, c'est vrai que vous les prenez depuis déjà très longtemps… au point qu'on en oublierait même presque qu'il s'agit de médicaments... et après tout ce temps, tout à coup, je débarque avec mes gros sabots pour vous parler des risques qu'il y a à les prendre... je suppose que cela vous surprend, non ?! Dites-moi ? »
Argument type 4 : « Mon médecin précédent m'a dit que je ne devais jamais les arrêter… »
Réponses possibles : « Oui... mais la médecine évolue et nous découvrons sans cesse de nouvelles informations... Je sais que cela doit vous paraître illogique que je m'inquiète à propos de ces médicaments alors que votre médecin précédent semblait avoir toute confiance en eux... dites-moi ?! »
« Il n'est en effet pas recommandé d'arrêter de prendre un médicament du jour au lendemain, c'est tout à fait vrai. Si nous décidons, ensemble, d'arrêter ce traitement, vous devrez diminuer votre prise du médicament progressivement et je vous accompagnerai dans ce processus en suivant les choses de près... Ça vous convient si je continue à vous parler d'arrêter ce médicament ? Ou qu'en pensez-vous ? »